Comment mémoriser nos programmes d’histoire-géographie ?

Voilà comment j’aimerais schématiser ce que nous devons avoir mémorisé pour pouvoir tirer profit de l’enseignement d’histoire géographie au lycée. Cela a une forme de temple grec avec des bases renforcées (les bases de l’alphabétisation et les bases de l’histoire et de la géographie), deux colonnes (l’histoire et la géographie), un linteau (les acteurs) et un fronton (les notions).

J’estime qu’un lycéen motivé de Première et de Terminale et de CPGE n’a vraiment besoin du professeur que pour comprendre le haut de ce schéma : les acteurs et les notions. Il est capable tout seul comme un grand de consolider ses bases, les bases de l’histoire et de la géographie et de mémoriser les dates et lieux que le professeur lui demande d’apprendre à partir du moment où il comprend pourquoi il faut le faire. Or c’est souvent seulement en CPGE qu’ils comprend vraiment le problème de cette mémorisation.

Sinon nous faisons du sur-place pendant des années sans rien apprendre de précis et de vraiment intéressant et passons pour une matière enquiquinante avec ses exercices scolaires techniques (dissertations, études de documents et croquis) dont on ne comprend pas l’intérêt. Car on peut découvrir à la télé et sur Internet tout un tas de reportages historiques ou géographiques beaucoup plus attractifs.

Mais ces reportages n’ont pas pour objectif de développer des compétences intellectuelles : apprendre à trier de l’information de manière pertinente pour essayer de comprendre une situation complexe, être capable de l’analyser à l’écrit comme à l’oral et pouvoir éventuellement en tirer des enseignements pour améliorer le sorts des hommes.

Nous ne faisons pas de l’histoire-géographie au lycée pour devenir des érudits et pouvoir épater la galerie par des mots savants en mémorisant des quantités immenses de connaissance !

Il me semble qu’avoir ce schéma en tête, l’analyser, le détailler et le comprendre permet beaucoup mieux de comprendre ce que nous devons mémoriser pour que l’histoire-géographie soit une matière qui, d’un côté, développe notre culture générale « d’honnête homme du XXIe siècle » et de l’autre développe notre compétence à expliquer méthodiquement à l’oral et à l’écrit des choses complexes.

Les bases de l’alphabétisation ?

Nos élèves Français et francophones qui entrent en classe de Seconde les ont apprises depuis leur entrée à l’école élémentaire à 6 ans. Cela fait donc près d’une dizaine d’années qu’ils savent lire, écrire, compter. Grâce à ces compétences ils peuvent de manière autonome développer leurs connaissances. C’est justement cela l’enjeu de l’alphabétisation : permettre à un individu d’accéder seul (et donc librement) à de la connaissance sans qu’il y ait systématiquement et en permanence un maître qui lui transmette cette connaissance par oral !

Voir notamment cet article L’alphabétisation en France XVI e siècle-XIXe siècle : quelques noms, quelques dates, un zoom sur la place des femmes

« L’alphabétisation d’un plus grand nombre de personnes est un phénomène qui touche d’abord l’Europe Occidentale à partir de la Renaissance avant de se développer dans d’autres régions du monde et de se généraliser à l’ensemble de la planète aujourd’hui même si on observe encore de grandes disparités entre les pays du monde (voir l’article 500 millions de femmes analphabètes ?). Auparavant, lire et écrire étaient des compétences réservés à des élites très limitées : selon les sociétés les souverains (voir l’article sur Bossuet et Fénelon précepteurs de futurs rois ou celui sur Aristote et son illustre élève Alexandre -le Grand- ), les religieux (qui dans les monastères de l’Europe médiévale ont recopié des manuscrits), des administrateurs (comme les mandarins de l’Empire de Chine) et eux seuls y avaient accès. »

A priori 100 % de nos lycéens maîtrisent ces compétences de bases mais on peut remarquer que c’est plus difficile pour ceux d’entre eux qui sont arrivés depuis l’étranger en cours de scolarité (ne connaissaient pas le français mais avaient été scolarisés dans une autre langue) et, encore pire, pour ceux qui étaient déjà des adolescents et analphabètes.

Pourtant des nombreux dispositifs ont été mis en place en France pour permettre à ses élèves étrangers de rattraper leur retard et on constate souvent que les progrès sont spectaculaires -à l’oral comme à l’écrit- tant la motivation est forte quand les conditions matérielles sont présentes (notamment la sécurité quand il s’agit de réfugiés).

Par contre on découvre à quel point il est difficile d’acquérir ces bases quand on est un adulte en provenance d’un pays en voie de développement et qu’on n’a pas pu être scolarisé enfant. L’alphabétisation des adultes est beaucoup plus difficile et dans certains cas un adulte ne parvient pas à d’atteindre un niveau suffisant pour avoir un emploi stable dans un pays industrialisé développé où la quasi totalité des métiers nécessite de savoir lire et écrire.

Notons enfin que lors de la JDC (Journée Défense et Citoyenneté), journée obligatoire pour tous les jeunes Français (en trouve le dispositif sur le site officiel ici) propose systématique un test d’alphabétisation et nos lycéens ont souvent l’impression que les questions sont trop faciles.

Peut-être ne se rendent-ils pas compte des difficultés qu’ils rencontreraient si ce test leur était proposé en chinois, japonais, coréen, russe ou arabe… c’est-à-dire dans un mode de transcription où ils ne verraient ni mots, ni phrases, ni informations… mais juste une suite de signes incompréhensibles ! C’est justement ce qu’un analphabète (qui n’a jamais appris à lire ou écrire) ou un illettré (qui a peut-être l’a appris mais l’a oublié et ne peut pas s’en servir) voit quand on lui présente un écrit.

Effectivement ces tests de la JDC ont d’abord pour but de déceler l’illettrisme chez les jeunes Français : le fait que certains jeunes ne comprennent pas l’écrit même si, souvent ils ont été à l’école. Ils ont oublié…

Mais les bases de l’alphabétisation ne sont pas suffisantes : il faut être capable d’aller plus loin.

Effectivement si on apprend au départ à lire de gauche à droite et de haut en bas… progressivement quand on devient un bon lecteur on sait qu’il faut être capable avec son regard de « scanner » des pages de texte rapidement en diagonale pour déterminer à quel endroit du texte on va trouver les informations essentielles qui nous intéressent et de les trier mais avant cela de comprendre comment sont mises en page et rangées les informations dans un document écrit (il y a des titres, des numérotations, des sommaires, des index…).

Sur ce plan un lycéen a encore beaucoup de progrès à faire pour gagner en efficacité et en rapidité qu’il va gagner dans les études supérieures s’il fait des études où il faut lire et analyser beaucoup de documents écrits (histoire, géographie, philosophie, droit, sciences économiques, sociologie, anthropologie, lettres, langues, médecine, biologie…)

De la même façon, savoir juste compter dans l’ordre 1,2, 3… n’est pas suffisant mais faut aussi savoir faire des opérations plus ou moins complexes (ranger, trier, comparer, additionner, soustraire, multiplier, diviser, …)

Donc finalement ces « bases de l’alphabétisation » sont quelque chose de très complexe. Elles nous servent en permanence dans toutes nos matières scolaires et toute notre vie quotidienne.

Les bases de l’histoire ?

Ce que j’ai ici entouré en vert correspond aux grands repères qu’on doit avoir mémorisé pour faire de l’histoire : un truc très simple (et certes schématique) par lequel on « range » les évènements historiques dans des cases marquées : « Antiquité », « Moyen Age », Temps Modernes » et « Époque contemporaine » délimitées par des dates-charnières.

On pourra se reporter pour cela à l’article Quelques jalons chronologiques sur l’histoire européenne

Les bases de la géographie ?

Par cette expression j’entends un certain nombre de généralités simples concernant la terre (sa forme -sphère-, son mouvement -rotation et révolution- ; son découpage -pôles, tropiques, équateur, parallèles et méridiens, latitude et longitude, fuseaux horaires) ; la répartition des terres et des mers (Les 6 continents, les grands océans, les principales mers et les grands cours d’eau) mais aussi les climats (avec l’idée de 3 grandes catégories de climat : ceux de la ZIT -zone intertropicale- sans hiver, ceux des zones polaires -sans été et donc sans agriculture, ceux des latitudes moyennes), la végétation (avec l’idée de 8 grands biomes) et le relief (avec l’idée de 3 grands types : montagnes, plateaux et plaines) autant d’éléments qu’on apprenait par cœur au primaire autrefois et qui n’ont pas été mémorisés de manière systématique par les jeunes générations. A la place ils ont vu quantité de magnifiques vidéos animées…

Quelle que soit la région géographique sur laquelle on travaille on doit d’abord pouvoir la situer par rapport en latitude (qui va donner une indication essentielle sur son climat) et ensuite et par rapport aux océans et aux terres.

On pourra réviser ces aspects et approfondir dans l’article Milieux, écosystèmes, biomes, environnement : un peu de vocabulaire et quelques fondamentaux

carte adaptée d’un site de vulgarisation canadien Parlons sciences ici

Les dates ?

Connaître la chronologie est quelques chose d’essentiel en histoire mais il est totalement inutile de s’encombrer la mémoire d’une foule de dates. On peut retenir les idées suivantes :

  • On doit toujours être capable de ranger 2 événements dans le bon ordre chronologique sans jamais les intervertir : sinon on ne peut pas comprendre les causes, l’enchaînement et les conséquences d’un événement ce qui est le plus important en histoire
  • On ne doit apprendre que des dates dont on comprend la signification et qui sont généralement des dates-charnières. Mémoriser juste « 1515-Marignan » n’a absolument aucun intérêt si l’on ignore qu’il s’agit d’une bataille, qui la remporte, à quel endroit elle se passe et pourquoi elle est importante.
  • La précision d’une date à mémoriser peut varier selon la période qu’on étudie : plus on est dans le passé plus on peut rester flou
    • ex. le pharaon Ramsès II au IIe millénaire avant notre ère ( millénaire)
    • ex. la démocratie athénienne au Ve siècle avant JC (siècle)
    • ex. les années folles dans les années 1920 (décennie)
    • ex. le début de la Première Guerre mondiale en 1914 (année)
    • ex. l’offensive allemande en URSS au printemps 1941 (saison, année)
    • ex. l’offensive allemande en France en mai- juin 1940 (mois, année)
    • ex. le Débarquement de Normandie le 6 juin 1944 (jour, mois, année)

On n’a besoin de mémoriser une date précise (jour, mois) uniquement pour les dates commémorées chaque année (ex. 14 juillet, 11 novembre…).

Plus on se spécialiste sur une question plus on a besoin de dates pour analyser l’évolution fine (ex. sur la Révolution française, sur les campagnes napoléoniennes, sur la Première Guerre mondiale).

Le nombre de dates à mémoriser est plus important quand on travaille sur un tournant majeur (début ou fin d’une guerre, révolution et changement de régime politique), voilà pourquoi sur le programme d’Histoire de Première on a besoin de mémoriser beaucoup de dates :

  • sur la période 1789-1815 (Révolution et Empire)
  • sur la période 1848-1852 (Révolution et Seconde République)
  • sur la période 1870-1871 (Guerre franco-prussienne et Commune de Paris)
  • sur la Première Guerre mondiale (1914-1918)

Les lieux ?

De la même manière en géographie on doit mémoriser un certain nombre de noms de lieux (des « toponymes« ) mais uniquement ceux qui nous servent et non d’interminables listes de mers, cours d’eau, montagnes, pays, capitales et autres villes.

Ces toponymes doivent premièrement être positionnés sur des cartes (qu’on dessine à la main et qu’on doit être capable de refaire de mémoire) et deuxièmement servir à faire une analyse : ce sont uniquement ces noms qu’on doit apprendre par cœur et placer sur nos cartes.

Plus on est spécialiste plus on a besoin de mémoriser de toponymes.

Ainsi pour pouvoir commencer à parler de l’Inde on n’a pas besoin de plus de noms que cela (le nom des mers, des États voisins et des 4 plus grandes villes d’Inde).

Les acteurs ?

Par « acteurs » j’entends qu’il faut connaître quelques personnages célèbres qui souvent des hommes d’État : des monarques, des présidents, des ministres ou conseillers, des écrivains, des philosophes, des scientifiques. La vie de ces personnages est très intéressante mais ce qui nous intéresse n’est pas la vie amoureuse et personnelle de ces individus : nous nous intéressons à eux parce que nous essayons de comprendre quel rôle ils peuvent jouer dans l’enchainement des événements.

Voir par exemple la biographie de Churchill ici qui est un personnage très intéressant pour comprendre l’Angleterre du premier XX e siècle : rédiger une biographie contextualisée un exercice formateur

Mais le terme d’acteurs est bien plus large, il désigne aussi les États, les groupes sociaux (ex. la noblesse, le clergé ou le Tiers État), les groupes ethniques ou religieux, les organisations (syndicats, associations, Église catholique), les entreprises (comme SEB ou Nike..). L’historien et le géographe s’intéressent à la manière dont ils interagissent : s’allient, coopèrent, s’opposent verbalement, s’affrontent militairement...

Les notions ?

Voilà le mot qui se trouve sur le fronton de notre temple grec et c’est là clairement que le professeur d’histoire-géographie au lycée a son rôle de spécialiste à jouer : utiliser des « notions », c’est-à-dire de grandes idées un peu abstraites (avec parfois des termes techniques compliqués) pour analyser et interpréter les faits historiques et géographiques observés.

C’est réfléchir sur les notions de « Nation« , de « nationalités« , de « démocratie » en histoire politique. C’est réfléchir sur les notions de « transition« , de « recomposition« , de « métropolisation » en géographie.

Ces notions sont un peu moins difficiles que celles qui sont abordées en Terminale dans les cours de philosophie. Et donc on peut considérer que l’histoire-géographie que nous faisons aujourd’hui (et qui n’est pas un simple récit bourré de dates, de personnages et de lieux) est une manière de s’entraîner avec des exemples plus simples car plus concrets à raisonner et argumenter pour pouvoir faire de la philosophie qui demeure la reine des disciplines intellectuelles.

Mais je rajouterai que la géographie a une fonction particulière : en analysant la manière dont les hommes habitent la terre aujourd’hui (en s’intéressant également au passé), elle a toujours une arrière-pensée : réfléchir à mieux aménager et améliorer certains éléments concrets.

Voilà pourquoi la Licence de géographie à l’Université s’appelle : « Licence de géographie et aménagement » (voir l’article Où, comment et pourquoi étudier la géographie en France aujourd’hui ?)