L’objectif de cette introduction est de réfléchir sur les 4 disciplines impliquées dans l’enseignement de spécialité « Histoire Géographie Géopolitique Sciences Politiques ». Quel est leur objet ? Quelles sont leurs méthodes ? Leurs sources ? Leur originalité ? Les liens qu’elles entretiennent entre-elles ? Les représentations qu’on peut s’en faire ?
Cette réflexion sur une discipline scientifique porte un nom : l’épistémologie. C’est une approche qu’on fait d’habitude en cours de philosophie (en Terminale et après le Bac). Plus précisément l’épistémologie est l’étude critique des sciences et de la connaissance scientifique.
Si on prend une image, nous étions jusqu’alors comme Monsieur Jourdain dans le Bourgeois gentilhomme de Molière qui fait de la prose sans le savoir. Voici le dialogue :
Acte II, scène 4
MONSIEUR JOURDAIN : […] Au reste, il faut que je vous fasse une confidence. Je suis amoureux d’une personne de grande qualité, et je souhaiterais que vous m’aidassiez à lui écrire quelque chose dans un petit billet que je veux laisser tomber à ses pieds.
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE : Fort bien.
MONSIEUR JOURDAIN : Cela sera galant, oui.
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE : Sans doute. Sont-ce des vers que vous lui voulez écrire ?
MONSIEUR JOURDAIN : Non, non, point de vers.
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE : Vous ne voulez que de la prose ?
MONSIEUR JOURDAIN : Non, je ne veux ni prose ni vers.
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE: Il faut bien que ce soit l’un, ou l’autre.
MONSIEUR JOURDAIN : Pourquoi ?
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE : Par la raison, Monsieur, qu’il n’y a pour s’exprimer que la prose, ou les vers.
MONSIEUR JOURDAIN: Il n’y a que la prose ou les vers ?
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE : Non, Monsieur : tout ce qui n’est point prose est vers ; et tout ce qui n’est point vers est prose.
MONSIEUR JOURDAIN: Et comme l’on parle qu’est-ce que c’est donc que cela ?
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE : De la prose.
MONSIEUR JOURDAIN : Quoi ! quand je dis: « Nicole, apportez-moi mes pantoufles, et me donnez mon bonnet de nuit », c’est de la prose ?
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE : Oui, Monsieur.
MONSIEUR JOURDAIN : Par ma foi ! il y a plus de quarante ans que je dis de la prose sans que j’en susse rien, et je vous suis le plus obligé du monde de m’avoir appris cela. Je voudrais donc lui mettre dans un billet : « Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour » ; mais je voudrais que cela fût mis d’une manière galante, que cela fût tourné gentiment.
Jusqu’à présent nous avons fait de l’histoire, de la géographie mais aussi de la géopolitique et des sciences politiques comme Monsieur Jourdain sans le savoir et sans réfléchir à ce que nous faisions. Ce n’est pas un hasard si c’est le « Maître de philosophie » qui lui met le doigt sur ce point.
Parce qu’effectivement la philosophie a cette capacité à se poser de grandes questions à la fois sur qui nous sommes et ce que nous faisons !
Pourquoi la Grèce ?
Tous ces mots compliqués que nous venons d’utiliser ont une racine grecque ! (On peut dire qu’ils ont une « étymologie » grecque puisque ce terme signifie science de l’origine des mots).
C’est le cas de « philosophie », « d’épistémologie », « d’histoire », de « géographie », de « politique » et de « géopolitique » mais aussi de la « démocratie » qui est un des 5 thèmes au programme ! (voir aussi l’article Quelques jalons indispensables sur le grec et la Grèce Antique)
Ce n’est pas un hasard !
La pensée philosophique grecque, notamment à travers les deux figures de Platon (428-348 av JC) -disciple de Socrate (479-399 av JC) (Socrate n’a laissé aucun écrit mais de nombreux dialogues de Platon le mettent en scène en train de philosopher)- et d’Aristote (384-322 av JC ) est la source première de notre philosophie occidentale.
D’autre part les mathématiques -et tout particulièrement la géométrie- sont une science dont les fondements se trouvent également dans la Grèce Antique (à travers des hommes comme Euclide, Pythagore, Thalès et Archimède dont on a forcément croisé les théorèmes, axiomes et principes dans le cours de mathématiques ou de physique).
Bref il n’est pas étonnant qu’en français, le vocabulaire de la science (c’est vrai surtout des mathématiques et de la médecine) ainsi que celui de la politique soit en grande partie d’étymologie grecque. À l’inverse, le vocabulaire du droit est d’étymologie latine.
Unité et diversité de la science
La première chose à laquelle s’intéresse l’épistémologie c’est de savoir ce qui fait l’unité de la science au-delà des diversités qu’on peut observer entre les sciences. Effectivement on distingue classiquement 4 types de sciences :
- les sciences formelles (comme les mathématiques)
- les sciences exactes (comme la physique)
- les sciences du vivant (comme la SVT)
- les sciences sociales (comme les 4 disciplines de notre spécialité)
Quels sont les objectifs de la science en général et de telle science en particulier ? Quels principes fondamentaux sont à l’œuvre ? Quels sont les rapports entre les sciences ? Par qui et selon quelles méthodes sont enseignées les sciences ? Quelles sont les interrelations entre les théories des différentes sciences ?
L’idée sous-jacente de « rationalité » (c’est-à-dire l’usage de la raison) est toujours derrière la science
La science considère que les objets qu’elle se donne à étudier peuvent être décrits et compris grâce à notre raison, c’est-à-dire notre cerveau qui fonctionne de manière logique, en utilisant principalement 3 opérations mentales : la comparaison, la déduction et l’induction.
Ce qui fonde l’unité de toutes ces sciences c’est qu’elles partent le plus souvent de l’observation du réel, avec nos sens dans un premier temps puis à l’aide d’outils capables de multiplier leurs capacités –microscopes, télescopes, calculateurs…).
Le réel est ainsi décomposé, analysé et on tente de le comprendre en émettant des hypothèses et en tentant de les infirmer (c’est ce qui est souvent assez simple) ou de les confirmer (ce qui est beaucoup plus compliqué), en découvrant des propriétés sur son organisation et son fonctionnement.
Un scientifique est donc quelqu’un qui, de manière logique et méthodique, s’attèle à comprendre le morceau de réel qu’il a pris comme objet de son étude, que cela soit la structure de la matière pour un astrophysicien, celle de l’ADN pour un biochimiste, la vie politique de la Cité d’Athènes pour un historien, l’organisation de l’agglomération rochelaise pour un géographie, le fonctionnement des Institutions européennes pour un spécialiste de Sciences Politiques…
Être « logique », c’est déjà admettre que si « A» est vrai alors « non A » est nécessairement faux, ou pour dire les choses d’une manière plus concrète : si une proposition est vraie (ex. « Socrate est un philosophe ») alors la négation de cette proposition (« Socrate n’est pas un philosophe ») est nécessairement fausse. Un type de raisonnement logique plus élaboré est celui qu’on appelle syllogisme et l’exemple célèbre est : « Tous les hommes sont mortels » or « Socrate est un homme » donc « Socrate est mortel ».
Mais attention cette logique rigoureuse déraille complètement si on inverse l’ordre des propositions : « Tous les hommes sont mortels », « Socrate est mortel »… de-là il est impossible de déduire que « Socrate est un homme » (cela pourrait tout aussi bien être un chien, une sauterelle… rien dans l’énoncé ne permet de le dire) !
La logique doit donc être utilisée de manière rigoureuse et précise sinon au-lieu d’être au service d’un raisonnement scientifique, elle contribue à l’inverse à semer le trouble dans l’esprit d’un interlocuteur.
Peut-être que cela vous semble évident mais dans certaines sociétés traditionnelles qui sont encore totalement imprégnées de pratiques magiques et irrationnelles, ce type de logique n’a pas sa place.
Être « méthodique » c’est appliquer des méthodes qui se sont progressivement développées et en découvrir de nouvelles plus efficaces (par exemple pour dater pour observer, pour représenter, pour décrire un phénomène).
Bref ce qu’on demande au scientifique c’est d’être de « bonne foi » (je n’ai pas trouvé de meilleure expression) bref c’est faire de son mieux et accepter de changer son propos au fur et à mesure que l’état de la science progresse et amène de nouveaux éléments de preuves qui parfois précisent, parfois infirment ce qu’on savait auparavant.
Pour donner un exemple le scientifique ne croit pas vous avez le paludisme parce que le sorcier du village vous a lancé un mauvais sort !
Il pense que vous avez résidé dans un pays tropical, que vous avez été piqué par un anophèle, moustique porteur d’un parasite (le plasmodium) qui vous a transmis cette mauvaise fièvre potentiellement mortelle et, par conséquent, il va proposer de vous soigner de manière rationnelle en utilisant les médicaments dont il dispose et qui présentent un principe actif : la quinine au XIX e siècle, divers antipaludéens aujourd’hui, peut-être ultérieurement un vaccin pour prévenir cette maladie.
La difficulté des sciences sociales par rapport aux sciences exactes
Les sciences exactes s’intéressent à la structure de la matière –aux atomes, aux molécules, aux réactions chimiques, aux lois de gravitation, à la mécanique des fluides, à l’organisation de l’univers… – bref à des choses très complexes mais qui ne relèvent pas du vivant et dont on espère que les progrès des outils (télescopes, microscopes, cyclotron, calculateurs) et de la réflexion permettent d’en mieux comprendre le fonctionnement.
Mais les sciences sociales s’intéressent à l’homme en société, à la manière dont il aménage son environnement, s’organise socialement et politiquement, à ses croyances et aux objets qu’il produit. Or les hommes sont aujourd’hui plus de 7,8 milliards, vivent de manière très différente et surtout leur action sur le monde est à la fois rationnelle et irrationnelle !
Pire le chercheur en sciences sociales qui tente de décrire l’homme en société est lui-même partie d’une société avec son propre système de représentation : il risque donc de ne pas être très objectif.
Sciences sociales ou matières académiques ?
Au fur et à mesure que les sciences progressent, elles deviennent de plus en plus complexes et par conséquent se ramifient de plus en plus, étant découpées en matières académiques à partir du collège puis du lycée et de manière beaucoup plus importante à l’Université. D’où ce tableau :

J’y ai inscrit en jaune nos 4 disciplines présentes dans HGGSP
On voit qu’on pourra en découvrir d’autres dans l’enseignement supérieur notamment l’anthropologie -qui est fortement liée à la géographie (voir l’article Ethnologie ou anthropologie ?).
Ainsi ce qui est nouveau dans l’enseignement de HGGSP (Histoire Géographie Géopolitique et Sciences Politiques) c’est qu’on doit y réfléchir aux objets qu’on étudie et pas seulement les étudier comme Monsieur Jourdain faisait de la prose.

Un avis sur « HGGSP Introduction générale Un peu d’épistémologie ? »
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